EII - Proposition 35 - scolie

  • 21 avril 2004

J’ai expliqué dans le Scolie de la Proposition 17 en quel sens l’erreur consiste dans une privation de connaissance ; mais, pour l’expliquer plus amplement, je donnerai un exemple : les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul qu’ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés ; ce qui constitue donc leur idée de la liberté, c’est qu’ils ne connaissent aucune cause de leurs actions. Pour ce qu’ils disent en effet : que les actions humaines dépendent de la volonté, ce sont des mots auxquels ne correspond aucune idée. Car tous ignorent ce que peut être la volonté et comment elle peut mouvoir le Corps ; pour ceux qui ont plus de prétention et forgent un siège ou une demeure de l’âme, ils excitent habituellement le rire ou le dégoût. De même, quand nous regardons le soleil, nous imaginons qu’il est distant de nous d’environ deux cents pieds, et l’erreur ici ne consiste pas dans l’action d’imaginer cela prise en elle-même, mais en ce que, tandis que nous l’imaginons, nous ignorons la vraie distance du soleil et la cause de cette imagination que nous avons. Plus tard, en effet, tout en sachant que le soleil est distant de plus de 600 fois le diamètre terrestre, nous ne laisserons pas néanmoins d’imaginer qu’il est près de nous ; car nous n’imaginons pas le soleil aussi proche parce que nous ignorons sa vraie distance, mais parce qu’une affection de notre Corps enveloppe l’essence du soleil, en tant que le Corps lui-même est affecté par cet astre. [*]


In scholio propositionis 17 hujus partis explicui qua ratione error in cognitionis privatione consistit sed ad uberiorem hujus rei explicationem exemplum dabo nempe falluntur homines quod se liberos esse putant, quæ opinio in hoc solo consistit quod suarum actionum sint conscii et ignari causarum a quibus determinantur. Hæc ergo est eorum libertatis idea quod suarum actionum nullam cognoscant causam. Nam quod aiunt humanas actiones a voluntate pendere, verba sunt quorum nullam habent ideam. Quid enim voluntas sit et quomodo moveat corpus, ignorant omnes ; qui aliud jactant et animæ sedes et habitacula fingunt, vel risum vel nauseam movere solent. Sic cum solem intuemur, eum ducentos circiter pedes a nobis distare imaginamur, qui error in hac sola imaginatione non consistit sed in eo quod dum ipsum sic imaginamur, veram ejus distantiam et hujus imaginationis causam ignoramus. Nam tametsi postea cognoscamus eundem ultra 600 terræ diametros a nobis distare, ipsum nihilominus prope adesse imaginabimur ; non enim solem adeo propinquum imaginamur propterea quod veram ejus distantiam ignoramus sed propterea quod affectio nostri corporis essentiam solis involvit quatenus ipsum corpus ab eodem afficitur.


[*(Saisset :) J’ai expliqué dans le Scol. de la Propos. 17 de cette partie , pourquoi l’erreur consiste dans une privation de connaissance ; pour plus de clarté, je donnerai ici un exemple. Les hommes se trompent en ce point, qu’ils pensent être libres. Or, en quoi consiste une telle opinion ? en cela seulement qu’ils ont conscience de leurs actions et ignorent les causes qui les déterminent. L’idée que les hommes se font de leur liberté vient donc de ce qu’ils ne connaissent point la cause de leurs actions, car dire qu’elles dépendent de la volonté, ce sont là des mots auxquels on n’attache aucune idée. Quelle est en effet la nature de la volonté, et comment meut-elle le corps, c’est ce que tout le monde ignore, et ceux qui élèvent d’autres prétentions et parlent des sièges de l’âme et de ses demeures prêtent à rire ou font pitié.- De même, quand nous contemplons le soleil, nous nous imaginons qu’il est éloigné de nous d’environ deux cents pieds. Or, cette erreur ne consiste point dans le seul fait d’imaginer une pareille distance ; elle consiste en ce que, au moment où nous l’imaginons, nous ignorons la distance véritable et la cause de celle que nous imaginons. Plus tard, en effet, quoique nous sachions que le soleil est éloigné de nous de plus de six cents diamètres terrestres, nous n’en continuons pas moins à l’imaginer tout près de nous, parce que la cause qui nous fait imaginer cette proximité, ce n’est point que nous ignorions la véritable distance du soleil, mais c’est que l’affection de notre corps n’enveloppe l’essence du soleil qu’en tant que notre corps lui-même est affecté par le soleil.

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