EII - Proposition 49 - scolie

  • 29 avril 2004

Nous avons ainsi supprimé la cause communément admise de l’erreur. Précédemment, d’ailleurs, nous avons montré que la fausseté consiste dans la seule privation qu’enveloppent les idées mutilées et confuses. C’est pourquoi l’idée fausse, en tant qu’elle est fausse, n’enveloppe pas la certitude. Quand donc nous disons qu’un homme trouve le repos dans le faux et ne conçoit pas de doute à son sujet, nous ne disons pas pour cela qu’il est certain, mais seulement qu’il ne doute pas, ou qu’il trouve le repos dans des idées fausses, parce qu’il n’existe point de causes pouvant faire que son imagination soit flottante. Voir à ce sujet le Scolie de la Proposition 44. Si fortement donc qu’on voudra supposer qu’un homme adhère au faux, nous ne dirons jamais qu’il est certain. Car par certitude nous entendons quelque chose de positif (voir Prop. 43 et son Scolie) et non la privation de doute. Et par privation de certitude nous entendons la fausseté. Mais, pour expliquer plus amplement la Proposition précédente, il reste quelques avertissements à donner. Il reste ensuite à répondre aux objections qui peuvent être opposées à cette doctrine qui est la nôtre, et enfin, pour écarter tout scrupule, j’ai cru qu’il valait la peine d’indiquer certains avantages pratiques de cette doctrine. Je dis certains avantages, car les principaux se connaîtront mieux par ce que nous dirons dans la cinquième Partie.
Je commence donc par le premier point et j’avertis les Lecteurs qu’ils aient à distinguer soigneusement entre une Idée ou une conception de l’Âme et les Images des choses que nous imaginons. Il est nécessaire aussi qu’ils distinguent entre les idées et les Mots par lesquels nous désignons les choses. Parce que, en effet, beaucoup d’hommes ou bien confondent entièrement ces trois choses : les images, les mots et les idées, ou bien ne les distinguent pas avec assez de soin, ou enfin n’apportent pas à cette distinction assez de prudence, ils ont ignoré complètement cette doctrine de la volonté, dont la connaissance est tout à fait indispensable tant pour la spéculation que pour la sage ordonnance de la vie. Ceux qui, en effet, font consister les idées dans les images qui se forment en nous par la rencontre des corps, se persuadent que les idées des choses à la ressemblance desquelles nous ne pouvons former aucune image, ne sont pas des idées, mais seulement des fictions que nous forgeons par le libre arbitre de la volonté ; ils regardent donc les idées comme des peintures muettes sur un panneau et, l’esprit occupé par ce préjugé, ne voient pas qu’une idée, en tant qu’elle est idée, enveloppe une affirmation ou une négation. Pour ceux qui confondent les mots avec l’idée ou avec l’affirmation elle-même qu’enveloppe l’idée, ils croient qu’ils peuvent vouloir contrairement à leur sentiment quand, en paroles seulement, ils affirment ou nient quelque chose contrairement à leur sentiment. Il sera facile cependant de rejeter ces préjugés, pourvu qu’on prenne garde à la nature de la Pensée, laquelle n’enveloppe en aucune façon le concept de l’Étendue, et que l’on connaisse ainsi clairement que l’idée (puisqu’elle est un mode de penser) ne consiste ni dans l’image de quelque chose ni dans des mots. L’essence des mots, en effet, et des images est constituée par les seuls mouvements corporels qui n’enveloppent en aucune façon le concept de la pensée.
Ces brefs avertissements à ce sujet suffiront ; je passe donc aux objections sus-visées. La première est qu’on croit établi que la volonté s’étend plus loin que l’entendement et est ainsi différente de lui. Quant à la raison pour quoi l’on pense que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, c’est qu’on dit savoir d’expérience qu’on n’a pas besoin d’une faculté d’assentir, c’est-à-dire d’affirmer et de nier, plus grande que celle que nous avons, pour assentir à une infinité de choses que nous ne percevons pas, tandis qu’on aurait besoin d’une faculté plus grande de connaître. La volonté se distingue donc de l’entendement en ce qu’il est fini, tandis qu’elle est infinie. On peut deuxièmement nous objecter que, s’il est une chose qui semble clairement enseignée par l’expérience, c’est que nous pouvons suspendre notre jugement, de façon à ne pas assentir aux choses perçues par nous ; et cela est confirmé par ce fait que nul n’est dit se tromper en tant qu’il perçoit quelque chose, mais seulement en tant qu’il donne ou refuse son assentiment. Celui qui, par exemple, forge un cheval ailé, n’accorde pas pour cela qu’il existe un cheval ailé, c’est-à-dire qu’il ne se trompe pas pour cela, à moins qu’il n’accorde en même temps qu’il existe un cheval ailé ; l’expérience ne semble donc rien enseigner plus clairement, sinon que la volonté, c’est-à-dire la faculté d’assentir, est libre et distincte de la faculté de connaître. On peut troisièmement objecter qu’une affirmation ne semble pas contenir plus de réalité qu’une autre ; c’est-à-dire nous ne semblons pas avoir besoin d’un pouvoir plus grand pour affirmer que ce qui est vrai est vrai, que pour affirmer que quelque chose qui est faux, est vrai ; tandis qu’au contraire nous percevons qu’une idée a plus de réalité ou de perfection qu’une autre ; autant les objets l’emportent les uns sur les autres, autant aussi leurs idées sont plus parfaites les unes que les autres ; par là encore une différence semble être établie entre la volonté et l’entendement. Quatrièmement on peut objecter que, si l’homme n’opère point par la liberté de sa volonté, qu’arrivera-t-il au cas qu’il soit en équilibre comme l’âne de Buridan ? Périra-t-il de faim et de soif ? Si je l’accorde, je paraîtrai concevoir un âne ou une figure d’homme inanimée, et non un homme ; si je le nie, c’est donc qu’il se déterminera lui-même et, conséquemment, a la faculté d’aller et de faire tout ce qu’il veut. Peut-être y a-t-il encore d’autres objections possibles ; comme, toutefois, je ne suis pas tenu d’insérer ici les rêveries de chacun, je ne prendrai soin de répondre qu’à ces quatre objections, et je le ferai le plus brièvement possible. A l’égard de la première, j’accorde que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, si par entendement on entend seulement les idées claires et distinctes ; mais je nie que la volonté s’étende plus loin que les perceptions, autrement dit la faculté de concevoir, et en vérité je ne vois pas pourquoi la faculté de vouloir devrait être infinie, plutôt que celle de sentir ; tout comme, en effet, par la même faculté de vouloir, nous pouvons affirmer une infinité de choses (l’une après l’autre toutefois, car nous n’en pouvons affirmer à la fois une infinité), nous pouvons aussi, par la même faculté de sentir, sentir ou percevoir une infinité de corps (l’un après l’autre bien entendu). Dira-t-on qu’il y a une infinité de choses que nous ne pouvons percevoir ? Je réplique : ces choses-là, nous ne pouvons les saisir par aucune pensée et conséquemment par aucune faculté de vouloir. Mais, insistera-t-on, si Dieu voulait faire que nous les perçussions aussi, il devrait nous donner, certes, une plus grande faculté de percevoir, mais non une plus grande faculté de vouloir que celle qu’il nous a donnée. Ce qui revient à dire : si Dieu voulait faire que nous connussions une infinité d’autres êtres, il serait nécessaire, certes, qu’il nous donnât un entendement plus grand que celui qu’il nous a donné, afin d’embrasser cette infinité, mais non une idée plus générale de l’être. Car nous avons montré que la volonté est un être général, en d’autres termes une idée par laquelle nous expliquons toutes les volitions singulières, c’est-à-dire ce qui est commun à toutes. Puis donc que l’on croit que cette idée commune ou générale de toutes les volitions est une faculté, il n’y a pas le moins du monde à s’étonner que l’on dise que cette faculté s’étend à l’infini au delà des limites de l’entendement. Le général en effet se dit également d’un et de plusieurs individus et d’une infinité. A la deuxième objection je réponds en niant que nous ayons un libre pouvoir de suspendre le jugement. Quand nous disons que quelqu’un suspend son jugement, nous ne disons rien d’autre sinon qu’il voit qu’il ne perçoit pas la chose adéquatement. La suspension du jugement est donc en réalité une perception, et non une libre volonté. Pour le faire mieux connaître concevons un enfant qui imagine un cheval [ailé] et n’imagine rien d’autre. Puisque cette imagination enveloppe l’existence du cheval (Coroll. de la Prop. 17) et que l’enfant ne perçoit rien qui exclue l’existence du cheval, il considérera nécessairement le cheval comme présent et ne pourra douter de son existence, encore qu’il n’en soit pas certain. Nous éprouvons cela tous les jours dans le sommeil, et je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un qui croie, durant qu’il rêve, avoir le libre pouvoir de suspendre son jugement sur ce qu’il rêve et de faire qu’il ne rêve pas ce qu’il rêve qu’il voit ; et néanmoins il arrive que, même dans le sommeil, nous suspendions notre jugement, c’est à savoir quand nous rêvons que nous rêvons. J’accorde maintenant que nul ne se trompe en tant qu’il perçoit, c’est-à-dire que les imaginations de l’Âme considérées en elles-mêmes n’enveloppent aucune sorte d’erreur (voir Scolie de la Prop. 17) ; mais je nie qu’un homme n’affirme rien en tant qu’il perçoit. Qu’est-ce donc en effet que percevoir un cheval ailé sinon affirmer d’un cheval des ailes ? Si l’Âme, en dehors du cheval ailé, ne percevait rien d’autre, elle le considérerait comme lui étant présent, et n’aurait aucun motif de douter de son existence et aucune faculté de ne pas assentir, à moins que l’imagination du cheval ailé ne soit jointe à une idée excluant l’existence de ce même cheval, ou que l’Âme ne perçoive que l’idée qu’elle a du cheval est inadéquate, et alors ou bien elle niera nécessairement l’existence de ce cheval, ou bien elle en doutera nécessairement. Par là je pense avoir donné d’avance ma réponse à la troisième objection : que la volonté est quelque chose de général qui se joint à toutes les idées et signifie seulement ce qui est commun à toutes ; autrement dit, qu’elle est l’affirmation dont l’essence adéquate, ainsi conçue abstraitement, doit pour cette raison être en chaque idée, et, à cet égard seulement, est la même dans toutes ; mais non en tant qu’on la considère comme constituant l’essence de l’idée, car en ce sens les affirmations singulières diffèrent entre elles autant que les idées elles-mêmes. Par exemple, l’affirmation qu’enveloppe l’idée du cercle diffère de celle qu’enveloppe l’idée du triangle autant que l’idée du cercle de l’idée du triangle. Pour poursuivre, je nie absolument que nous ayons besoin d’une égale puissance de penser pour affirmer que ce qui est vrai est vrai, que pour affirmer que ce qui est faux est vrai. Car ces deux affirmations, si on a égard à la pensée, soutiennent le même rapport l’une avec l’autre que l’être et le non-être, n’y ayant dans les idées rien de positif qui constitue la forme de la fausseté (voir Prop. 35 avec son Scolie et le Scolie de la Prop. 47). Il convient donc de noter ici surtout que nous nous trompons facilement quand nous confondons les notions générales avec les singulières, les êtres de raison et les abstractions avec le réel. Quant à la quatrième objection enfin, j’accorde parfaitement qu’un homme placé dans un tel équilibre (c’est-à-dire ne percevant rien d’autre que la faim et la soif, tel aliment et telle boisson également distants de lui) périra de faim et de soif. Me demande-t-on si un tel homme ne doit pas être estimé un âne plutôt qu’un homme ? Je dis que je n’en sais rien ; pas plus que je ne sais en quelle estime l’on doit tenir un homme qui se pend, les enfants, les stupides, les déments.
Il ne reste plus qu’à indiquer combien la connaissance de cette doctrine est utile dans la vie, ce que nous verrons aisément par ce qui précède. 1° Elle est utile en ce qu’elle nous apprend que nous agissons par le seul geste de Dieu et participons de la nature divine et cela d’autant plus que nous faisons des actions plus parfaites et connaissons Dieu davantage et encore davantage. Cette doctrine donc, outre qu’elle rend l’âme tranquille à tous égards, a encore l’avantage qu’elle nous enseigne en quoi consiste notre plus haute félicité ou béatitude, à savoir dans la seule connaissance de Dieu, par où nous sommes induits à faire seulement les actions que conseillent l’amour et la piété. Par où nous connaissons clairement combien sont éloignés de l’appréciation vraie de la vertu ceux qui, pour leur vertu et leurs actions les meilleures, attendent de Dieu une suprême récompense ainsi que pour la plus dure servitude, comme si la vertu même et le service de Dieu n’étaient pas la félicité et la souveraine liberté ; 2° elle est utile en ce qu’elle enseigne comment nous devons nous comporter à l’égard des choses de fortune, c’est-à-dire qui ne sont pas en notre pouvoir, en d’autres termes à l’égard des choses qui ne suivent pas de notre nature ; à savoir : attendre et supporter, avec une âme égale, l’une et l’autre faces de la fortune, toutes choses suivant du décret éternel de Dieu avec la même nécessité qu’il suit de l’essence du triangle, que ses trois angles sont égaux à deux droits ; 3° cette doctrine est utile à la vie sociale en ce qu’elle enseigne à n’avoir en haine, à ne mépriser personne, à ne tourner personne en dérision, à n’avoir de colère contre personne, à ne porter envie à personne. En ce qu’elle enseigne encore à chacun à être content de ce qu’il a, et à aider son prochain non par une pitié de femme, par partialité, ni par superstition, mais sous la seule conduite de la raison, c’est-à-dire suivant que le temps et la conjoncture le demandent, ainsi que je le montrerai dans la quatrième partie ; 4° cette doctrine est utile encore grandement à la société commune en ce qu’elle enseigne la condition suivant laquelle les citoyens doivent être gouvernés et dirigés, et cela non pour qu’ils soient esclaves, mais pour qu’ils fassent librement ce qui est le meilleur. J’ai achevé par là ce que j’avais résolu d’indiquer dans ce Scolie, et je mets fin ici à cette deuxième partie, dans laquelle je crois avoir expliqué la nature de l’âme humaine et ses propriétés assez amplement et, autant que la difficulté de la matière le permet, assez clairement ; dans laquelle je crois aussi avoir donné un exposé duquel se peuvent tirer beaucoup de belles conclusions, utiles au plus haut point et nécessaires à connaître ainsi qu’il sera établi en partie dans ce qui va suivre.

FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE

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His causam quæ communiter erroris esse statuitur, sustulimus. Supra autem ostendimus falsitatem in sola privatione quam ideæ mutilatæ et confusæ involvunt, consistere. Quare idea falsa quatenus falsa est, certitudinem non involvit. Cum itaque dicimus hominem in falsis acquiescere nec de iis dubitare, non ideo ipsum certum esse sed tantum non dubitare dicimus vel quod in falsis acquiescit quia nullæ causæ dantur quæ efficiant ut ipsius imaginatio fluctuetur. Qua de re vide scholium propositionis 44 hujus partis. Quantumvis igitur homo falsis adhærere supponatur, nunquam tamen ipsum certum esse dicemus. Nam per certitudinem quid positivum intelligimus (vide propositionem 43 hujus cum ejusdem scholio) non vero dubitationis privationem. At per certitudinis privationem falsitatem intelligimus. Sed ad uberiorem explicationem præcedentis propositionis quædam monenda supersunt. Superest deinde ut ad objectiones quæ in nostram hanc doctrinam objici possunt, respondeam et denique ut omnem amoveam scrupulum, operæ pretium esse duxi hujus doctrinæ quasdam utilitates indicare. Quasdam inquam nam præcipuæ ex iis quæ in quinta parte dicemus, melius intelligentur.
Incipio igitur a primo lectoresque moneo ut accurate distinguant inter ideam sive mentis conceptum et inter imagines rerum quas imaginamur. Deinde necesse est ut distinguant inter ideas et verba quibus res significamus. Nam quia hæc tria, imagines scilicet verba et ideæ, a multis vel plane confunduntur vel non satis accurate vel denique non satis caute distinguuntur, ideo hanc de voluntate doctrinam scitu prorsus necessariam tam ad speculationem quam ad vitam sapienter instituendam plane ignorarunt. Quippe qui putant ideas consistere in imaginibus quæ in nobis ex corporum occursu formantur, sibi persuadent ideas illas rerum quarum similem nullam imaginem formare possumus, non esse ideas sed tantum figmenta quæ ex libero voluntatis arbitrio fingimus ; ideas igitur veluti picturas in tabula mutas aspiciunt et hoc præjudicio præoccupati non vident ideam quatenus idea est, affirmationem aut negationem involvere. Deinde qui verba confundunt cum idea vel cum ipsa affirmatione quam idea involvit, putant se posse contra id quod sentiunt velle quando aliquid solis verbis contra id quod sentiunt affirmant aut negant. Hæc autem præjudicia exuere facile is poterit qui ad naturam cogitationis attendit, quæ extensionis conceptum minime involvit atque adeo clare intelliget ideam (quandoquidem modus cogitandi est) neque in rei alicujus imagine neque in verbis consistere. Verborum namque et imaginum essentia a solis motibus corporeis constituitur, qui cogitationis conceptum minime involvunt. Atque hæc pauca de his monuisse sufficiat, quare ad prædictas objectiones transeo.
Harum prima est quod constare putant voluntatem latius se extendere quam intellectum atque adeo ab eodem diversam esse. Ratio autem cur putant voluntatem latius se extendere quam intellectum est quia se experiri aiunt se non majore assentiendi sive affirmandi et negandi facultate indigere ad infinitis aliis rebus quas non percipimus, assentiendum quam jam habemus, at quidem majore facultate intelligendi. Distinguitur ergo voluntas ab intellectu quod finitus hic sit, illa autem infinita.
Secundo nobis objici potest quod experientia nihil clarius videatur docere quam quod nostrum judicium possumus suspendere ne rebus quas percipimus, assentiamur ; quod hinc etiam confirmatur quod nemo dicitur decipi quatenus aliquid percipit sed tantum quatenus assentitur aut dissentitur. Exempli gratia qui equum alatum fingit, non ideo concedit dari equum alatum hoc est non ideo decipitur nisi simul concedat dari equum alatum ; nihil igitur clarius videtur docere experientia quam quod voluntas sive facultas assentiendi libera sit et a facultate intelligendi diversa.
Tertio objici potest quod una affirmatio non plus realitatis videtur continere quam alia hoc est non majore potentia indigere videmur ad affirmandum verum esse id quod verum est, quam ad aliquid quod falsum est, verum esse affirmandum ; at unam ideam plus realitatis sive perfectionis quam aliam habere percipimus ; quantum enim objecta alia aliis præstantiora tantum etiam eorum ideæ aliæ aliis perfectiores sunt ; ex quibus etiam constare videtur differentia inter voluntatem et intellectum.
Quarto objici potest si homo non operatur ex libertate voluntatis, quid ergo fiet si in æquilibrio sit ut Buridani asina ? Famene et siti peribit ? Quod si concedam, viderer asinam vel hominis statuam, non hominem concipere ; si autem negem, ergo seipsum determinabit et consequenter eundi facultatem et faciendi quicquid velit, habet. Præter hæc alia forsan possunt objici sed quia inculcare non teneor quid unusquisque somniare potest, ad has objectiones tantum respondere curabo idque quam potero breviter.
Et quidem ad primam dico me concedere voluntatem latius se extendere quam intellectum si per intellectum claras tantummodo et distinctas ideas intelligant sed nego voluntatem latius se extendere quam perceptiones sive concipiendi facultatem nec sane video cur facultas volendi potius dicenda est infinita quam sentiendi facultas ; sicut enim infinita (unum tamen post aliud nam infinita simul affirmare non possumus) eadem volendi facultate possumus affirmare, sic etiam infinita corpora (unum nempe post aliud) eadem sentiendi facultate possumus sentire sive percipere. Quod si dicant infinita dari quæ percipere non possumus ? regero nos ea ipsa nulla cogitatione et consequenter nulla volendi facultate posse assequi. At dicunt si Deus vellet efficere ut ea etiam perciperemus, majorem quidem facultatem percipiendi deberet nobis dare sed non majorem quam dedit volendi facultatem ; quod idem est ac si dicerent quod si Deus velit efficere ut infinita alia entia intelligeremus, necesse quidem esset ut nobis daret majorem intellectum sed non universaliorem entis ideam quam dedit ad eadem infinita entia amplectendum. Ostendimus enim voluntatem ens esse universale sive ideam qua omnes singulares volitiones hoc est id quod iis omnibus commune est, explicamus. Cum itaque hanc omnium volitionum communem sive universalem ideam facultatem esse credant, minime mirum si hanc facultatem ultra limites intellectus in infinitum se extendere dicant. Universale enim æque de uno ac de pluribus ac de infinitis individuis dicitur.
Ad secundam objectionem respondeo negando nos liberam habere potestatem judicium suspendendi. Nam cum dicimus aliquem judicium suspendere, nihil aliud dicimus quam quod videt se rem non adæquate percipere. Est igitur judicii suspensio revera perceptio et non libera voluntas. Quod ut clare intelligatur, concipiamus puerum equum alatum imaginantem nec aliud quicquam percipientem. Quandoquidem hæc imaginatio equi existentiam involvit (per corollarium propositionis 17 hujus) nec puer quicquam percipit quod equi existentiam tollat, ille necessario equum ut præsentem contemplabitur nec de ejus existentia poterit dubitare quamvis de eadem non sit certus. Atque hoc quotidie in somnis experimur nec credo aliquem esse qui putet se, dum somniat, liberam habere potestatem suspendendi de iis quæ somniat, judicium efficiendique ut ea quæ se videre somniat, non somniet et nihilominus contingit ut etiam in somnis judicium suspendamus nempe cum somniamus nos somniare. Porro concedo neminem decipi quatenus percipit hoc est mentis imaginationes in se consideratas nihil erroris involvere concedo (vide scholium propositionis 17 hujus) sed nego hominem nihil affirmare quatenus percipit. Nam quid aliud est equum alatum percipere quam alas de equo affirmare ? Si enim mens præter equum alatum nihil aliud perciperet, eundem sibi præsentem contemplaretur nec causam haberet ullam dubitandi de ejusdem existentia nec ullam dissentiendi facultatem nisi imaginatio equi alati juncta sit ideæ quæ existentiam ejusdem equi tollit vel quod percipit ideam equi alati quam habet esse inadæquatam atque tum vel ejusdem equi existentiam necessario negabit vel de eadem necessario dubitabit.
Atque his puto me ad tertiam etiam objectionem respondisse nempe quod voluntas universale quid sit quod de omnibus ideis prædicatur quodque id tantum significat quod omnibus ideis commune est nempe affirmationem. Cujus propterea adæquata essentia quatenus sic abstracte concipitur, debet esse in unaquaque idea et hac ratione tantum in omnibus eadem sed non quatenus consideratur essentiam ideæ constituere nam eatenus singulares affirmationes æque inter se differunt ac ipsæ ideæ. Exempli gratia affirmatio quam idea circuli ab illa quam idea trianguli involvit æque differt ac idea circuli ab idea trianguli. Deinde absolute nego nos æquali cogitandi potentia indigere ad affirmandum verum esse id quod verum est quam ad affirmandum verum esse id quod falsum est. Nam hæ duæ affirmationes, si mentem spectes, se habent ad invicem ut ens ad non-ens ; nihil enim in ideis positivum est quod falsitatis formam constituit (vide propositionem 35 hujus cum ejus scholio et scholium propositionis 47 hujus). Quare hic apprime venit notandum quam facile decipimur quando universalia cum singularibus, et entia rationis et abstracta cum realibus confundimus.
Quod denique ad quartam objectionem attinet, dico me omnino concedere quod homo in tali æquilibrio positus (nempe qui nihil aliud percipit quam sitim et famem, talem cibum et talem potum qui æque ab eo distant) fame et siti peribit. Si me rogant an talis homo non potius asinus quam homo sit æstimandus ? dico me nescire ut etiam nescio quanti æstimandus sit ille qui se pensilem facit et quanti æstimandi sint pueri, stulti, vesani, etc.
Superest tandem indicare quantum hujus doctrinæ cognitio ad usum vitæ conferat, quod facile ex his animadvertemus. Nempe :
I° Quatenus docet nos ex solo Dei nutu agere divinæque naturæ esse participes et eo magis quo perfectiores actiones agimus et quo magis magisque Deum intelligimus. Hæc ergo doctrina præterquam quod animum omnimode quietum reddit, hoc etiam habet quod nos docet in quo nostra summa felicitas sive beatitudo consistit nempe in sola Dei cognitione ex qua ad ea tantum agenda inducimur quæ amor et pietas suadent. Unde clare intelligimus quantum illi a vera virtutis æstimatione aberrant qui pro virtute et optimis actionibus tanquam pro summa servitute, summis præmiis a Deo decorari exspectant quasi ipsa virtus Deique servitus non esset ipsa felicitas et summa libertas.
II° Quatenus docet quomodo circa res fortunæ sive quæ in nostra potestate non sunt hoc est circa res quæ ex nostra natura non sequuntur, nos gerere debeamus nempe utramque fortunæ faciem æquo animo exspectare et ferre : nimirum quia omnia ab æterno Dei decreto eadem necessitate sequuntur ac ex essentia trianguli sequitur quod tres ejus anguli sunt æquales duobus rectis.
III° Confert hæc doctrina ad vitam socialem quatenus docet neminem odio habere, contemnere, irridere, nemini irasci, invidere. Præterea quatenus docet ut unusquisque suis sit contentus et proximo auxilio, non ex muliebri misericordia, partialitate neque superstitione sed ex solo rationis ductu prout scilicet tempus et res postulat ut in quarta parte ostendam.
IV° Denique confert etiam hæc doctrina non parum ad communem societatem quatenus docet qua ratione cives gubernandi sint et ducendi nempe non ut serviant sed ut libere ea quæ optima sunt, agant. Atque his quæ in hoc scholio agere constitueram, absolvi et eo finem huic nostræ secundæ parti impono in qua puto me naturam mentis humanæ ejusque proprietates satis prolixe et quantum rei difficultas fert, clare explicuisse atque talia tradidisse ex quibus multa præclara, maxime utilia et cognitu necessaria concludi possunt, ut partim ex sequentibus constabit.

Finis secundae partis


[*(Saisset :) Par la proposition qu’on vient de lire, nous avons renversé l’explication que l’on donne communément de la cause de l’erreur. Nous avons montré plus haut que l’erreur consiste uniquement dans la privation de connaissance qu’enveloppent les idées mutilées et confuses. C’est pourquoi une idée fausse en tant que fausse n’enveloppe pas la certitude. Aussi, quand nous disons qu’un homme acquiesce à l’erreur ou qu’il y croit sans mélange de doute, nous ne disons pas pour cela qu’il est certain, mais seulement qu’il acquiesce à l’erreur ou qu’il n’en doute pas, aucune cause ne jetant son imagination dans l’incertitude. Du reste on peut sur ce point consulter le Scol. de la Propos. 44. Ainsi donc, nous ne dirons jamais d’un homme qu’il est certain, si grande que puisse être son erreur ; nous entendons en effet, par certitude, quelque chose de positif (voyez la Propos. 43, et son Scol.) et non une simple privation de doute ; or l’erreur, c’est pour nous la privation de certitude. Mais nous devons encore, pour que l’explication de la proposition précédente soit plus complète, ajouter ici quelques remarques. Nous devons aussi répondre aux objections qu’on peut élever contre notre doctrine. Enfin, pour écarter tout scrupule, il ne sera pas hors de propos de faire connaître quelques-unes des suites utiles que cette doctrine doit avoir ; je dis quelques-unes, car le plus grand nombre se comprendra beaucoup mieux par ce que nous dirons dans la 5e partie. En commençant mon premier point, j’avertis le lecteur de distinguer soigneusement entre une idée ou un concept de l’âme et les images des choses, telles que les forme notre imagination. Il est nécessaire en outre de faire distinction entre les idées et les mots par lesquels nous exprimons les réalités. Car les images, les mots et les idées, voilà trois choses que plusieurs confondent totalement, ou qu’ils ne distinguent pas avec assez de soin ou du moins assez de précaution, et c’est pour cela qu’ils ont complètement ignoré cette théorie de la volonté, si nécessaire à connaître pourtant, soit pour la vérité de la spéculation, soit pour la sagesse de la pratique. Lorsqu’en effet on pense que les idées consistent en images formées dans notre âme par la rencontre des objets corporels, toutes les idées de ces choses dont il est impossible de se représenter une image ne paraissent plus de véritables idées, mais de pures fictions, ouvrage de notre libre volonté. On ne considère ces idées que comme des figures muettes tracées sur un tableau, et la préoccupation produite par ce préjugé empêche de voir que toute idée, en tant qu’idée, enveloppe l’affirmation ou la négation. De plus ceux qui confondent les mots avec l’idée, ou avec l’affirmation que l’idée enveloppe, croient qu’ils peuvent opposer leur volonté à leur pensées, quand ils n’opposent à leur pensée que des affirmations ou des négations purement verbales. On se dépouillera aisément de ces préjugés si l’on fait attention à la nature de la pensée qui n’enveloppe nullement le concept de l’étendue ; et alors on comprendra clairement qu’une idée (en tant qu’elle est un mode de la pensée) ne consiste ni dans l’image d’une chose, ni dans des mots. Car ce qui constitue l’essence des mots et des images, ce sont des mouvements corporels, qui n’enveloppent nullement le concept de la pensée. Mais ces quelques observations peuvent suffire sur ces objets, et je passe aux objections que j’ai annoncées : la première vient de ce qu’on tient pour constant que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, et que c’est pour cette raison qu’elle ne s’accorde pas avec lui. Et ce qui fait penser que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, c’est qu’on est assuré, dit-on, par l’observation de soi-même, que l’homme n’a pas besoin, pour porter des jugements sur une infinité de choses qu’il ne perçoit pas, d’une puissance de juger, c’est-à-dire d’affirmer ou de nier, plus grande que celle qu’il possède actuellement, au lieu qu’il lui faudrait une plus grande puissance de percevoir. La volonté est donc distinguée de l’entendement, parce que celui-ci est fini, celle-là, au contraire, infinie. On peut nous objecter, en second lieu, que s’il est une chose que l’expérience semble nous enseigner clairement, c’est que nous pouvons suspendre notre jugement, et ne point adhérer aux choses que nous percevons ; aussi on ne dira jamais qu’une personne se trompe en tant qu’elle perçoit un certain objet, mais en tant seulement qu’elle y donne son assentiment ou l’y refuse. Par exemple, celui qui se représente un cheval ailé ne prétend pas pour cela qu’un cheval ailé existe réellement ; en d’autres termes, il ne se trompe que si, au moment qu’il se représente un cheval ailé, il lui attribue la réalité. Il paraît donc que rien au monde ne résulte plus clairement de l’expérience que la liberté de notre volonté, c’est-à-dire de notre faculté de juger, laquelle est conséquemment différente de la faculté de concevoir. La troisième objection qu’on nous peut faire, c’est qu’une affirmation ne paraît pas contenir plus de réalité qu’une autre affirmation quelconque ; en d’autres termes, il ne semble pas que nous ayons besoin d’un pouvoir plus grand pour assurer qu’un chose vraie est vraie, que pour affirmer la vérité d’une chose fausse ; tandis qu’au contraire nous comprenons qu’une idée a plus de réalité ou de perfection qu’une autre idée ; à mesure en effet que les objets sont plus relevés, leurs idées sont plus parfaites ; d’où résulte encore une différence entre l’entendement et la volonté. On nous demandera enfin, et c’est à la fois une question et une objection, ce qui arrivera, supposé que l’homme n’agisse point en vertu de la liberté et de sa volonté, dans le cas de l’équilibre absolu de l’âne de Buridan ? Périra-t-il de faim et de soif ? Si nous l’accordons, on nous dira que l’être dont nous parlons n’est point un homme, mais un âne, ou la statue d’un homme ; si nous le nions, voilà l’homme qui se détermine soi-même et a par conséquent le pouvoir de se mettre en mouvement et de faire ce qui lui plaît.
On pourrait nous adresser d’autres objections encore ; mais n’étant point tenu de débattre ici tous les songes que chacun peut faire sur ce sujet, je me bornerai à répondre aux quatre difficultés qui précèdent, et cela le plus brièvement possible. A la première objection, je réponds que j’accorde volontiers que la volonté s’étend plus loin que l’entendement, si par entendement l’on veut parler seulement des idées claires et distinctes ; mais je nie que notre volonté soit plus étendue que nos perceptions ou notre faculté de concevoir, et je ne vois point du tout pourquoi l’on dirait de la faculté de concevoir qu’elle est infinie plutôt qu’on ne le dit de la faculté de sentir ; de même en effet que nous pouvons, avec la même faculté de vouloir, affirmer une infinité de choses (l’une après l’autre, bien entendu, car nous pouvons en affirmer à la fois un nombre infini), ainsi, avec la même faculté de sentir, nous pouvons sentir ou percevoir une infinité de corps (bien entendu toujours, l’un après l’autre). Que si l’on soutient qu’il y a une infinité de choses que nous ne pouvons percevoir, je dirai à mon tour que nous ne pouvons atteindre ces mêmes choses par aucune pensée, et conséquemment par aucun acte de volonté. Mais, dit-on, si Dieu voulait faire que nous en eussions la perception, il devrait nous donner une plus grande faculté de percevoir, et non pas une plus grande faculté de vouloir que celle qu’il nous a donnée. Cela revient à dire que si Dieu voulait nous faire connaître une infinité d’êtres que nous ne connaissons pas actuellement, il serait nécessaire qu’il nous donnât un entendement plus grand, mais non pas une idée de l’être plus générale, pour embrasser cette infinité d’êtres ; car nous avons montré que la volonté est un être universel ou une idée par laquelle nous expliquons toutes les volitions particulières, c’est-à-dire ce qui leur est commun. Or, nos contradicteurs se persuadant que cette idée universelle, commune à toutes les volitions, est une faculté, il n’est point surprenant qu’ils soutiennent que cette faculté s’étend à l’infini au delà des limites de l’entendement, puisque l’universel se dit également d’un seul individu, de plusieurs, d’une infinité. Ma réponse à la seconde objection, c’est que je nie que nous ayons le libre pouvoir de suspendre notre jugement. Quand nous disons en effet qu’une personne suspend son jugement, nous ne disons rien autre chose sinon qu’elle ne perçoit pas d’une façon adéquate l’objet de son intuition. La suspension du jugement, c’est donc réellement un acte de perception, et non de libre volonté. Pour éclaircir ce point, concevez un enfant qui se représente un cheval et ne perçoit rien de plus. Cet acte d’imagination enveloppant l’existence du cheval (par le Corollaire de la Propos. 17), et l’enfant ne percevant rien qui marque la non-existence de ce cheval, il apercevra nécessairement ce cheval comme présent, et ne pourra concevoir aucun doute, sur sa réelle existence, lien qu’il n’en soit pas certain. Il nous arrive chaque jour quelque chose d’analogue dans les songes, et je ne crois pas que personne se puisse persuader qu’il possède, tandis qu’il rêve, le libre pouvoir de suspendre son jugement sur les objets de ses songes, et de faire qu’il ne rêve point en effet ce qu’il rêve ; et toutefois, pendant les songes, on suspend quelquefois son jugement, par exemple quand il arrive de rêver qu’on rêve. Ainsi donc j’accorde que personne ne se trompe en tant qu’il perçoit, c’est-à-dire que les représentations de l’âme, considérées en elles-mêmes, n’enveloppent aucune erreur (voir le Scol. de la Propos. 17) ; mais je nie qu’il soit possible de percevoir sans affirmer. Percevoir un cheval ailé, qu’est-ce autre chose en effet qu’affirmer de ce cheval qu’il a des ailes ? Car enfin si l’âme ne percevait rien de plus que ce cheval ailé, elle le verrait comme présent, sans avoir aucune raison de douter de son existence, ni aucune puissance de refuser son assentiment ; et les choses ne peuvent se passer autrement, à moins que cette représentation d’un cheval ailé ne soit associée à une idée qui exprime qu’un tel cheval n’existe pas ; en d’autres termes, à moins que l’âme ne comprenne que l’idée qu’elle se forme d’un cheval ailé est une idée inadéquate ; et alors elle devra nécessairement nier l’existence de ce cheval ailé, ou la mettre en doute. Par les réflexions qu’on vient de lire je crois avoir répondu d’avance à la troisième objection. Qu’est-ce en effet que la volonté ? Quelque chose d’universel qui convient en effet à toutes les idées particulières et ne représente rien de plus que ce qui leur est commun, savoir l’affirmation, d’où il résulte que l’essence adéquate de la volonté, ainsi considérée d’une manière abstraite, doit se retrouver dans chaque idée particulière et s’y retrouver toujours la même ; mais cela n’est vrai que sous ce point de vue, et cela cesse d’être vrai quand on considère la volonté connue constituant l’essence de telle ou telle idée ; car alors les affirmations particulières diffèrent l’une de l’autre tout autant que les idées : par exemple, l’affirmation enveloppée dans l’idée du cercle diffère de celle qui est enveloppée dans l’idée du triangle, exactement comme ces deux idées diffèrent entre elles. Enfin, je nie absolument que nous ayons besoin d’une puissance de penser égale, pour affirmer que ce qui est vrai est vrai, et pour affirmer que ce qui est faux est vrai ; car ces deux affirmations, si vous les rapportez à l’âme, ont le même rapport l’une avec l’autre que l’être avec le non être, puisque ce qui constitue l’essence de l’erreur dans les idées n’est rien de positif (voyez la Propos. 35, avec son Scol., et le Scol. de la Propos. 47). Et c’est bien ici le lieu de remarquer combien il est aisé de se tromper, quand on confond les universaux avec les choses particulières, les êtres de raison et les choses abstraites avec les réalités. Enfin, quant à la quatrième objection, j’ai à dire que j’accorde parfaitement qu’un homme, placé dans cet équilibre absolu qu’on suppose (c’est-à-dire qui, n’ayant d’autre appétit que la faim et la soif, ne perçoit que deux objets, la nourriture et la boisson, également éloignés de lui) ; j’accorde, dis-je, que cet homme périra de faim et de soif. On me demandera sans doute quel cas il faut faire d’un tel homme et si ce n’est pas plutôt un âne qu’un homme. Je répondrai que je ne sais pas non plus, et véritablement je ne le sais pas, quel cas il faut faire d’un homme qui se pend, d’un enfant, d’un idiot, d’un fou, etc. Il ne me reste plus qu’à montrer combien la connaissance de cette théorie de l’âme humaine doit être utile pour la pratique de la vie. Il suffit pour cela des quelques observations que voici : 1° suivant cette théorie, nous n’agissons que par la volonté de Dieu, nous participons de la nature divine, et cette participation est d’autant plus grande que nos actions sont plus parfaites et que nous comprenons Dieu davantage ; or, une telle doctrine, outre qu’elle porte dans l’esprit une tranquillité parfaite, a cet avantage encore qu’elle nous apprend en quoi consiste notre souveraine félicité, savoir, dans la connaissance de Dieu, laquelle ne nous porte à accomplir d’autres actions que celles que nous conseillent l’amour et la piété. Par où il est aisé de comprendre combien s’abusent sur le véritable prix de la vertu ceux qui, ne voyant en elle que le plus haut degré de l’esclavage, attendent de Dieu de grandes récompenses pour salaire de leurs actions les plus excellentes ; comme si la vertu et l’esclavage en Dieu n’étaient pas la félicité même et la souveraine liberté. 2° Notre système enseigne aussi comment il faut se comporter à l’égard des choses de la fortune, je veux dire de celles qui ne sont pas en notre pouvoir, en d’autres termes, qui ne résultent pas de notre nature ; il nous apprend à attendre et à supporter d’une âme égale l’une et l’autre fortune ; toutes choses en effet résultent de l’éternel décret de Dieu avec une absolue nécessité, comme il résulte de l’essence d’un triangle que ses trois angles soient égaux en somme à deux droits. 3° Un autre point de vue sous lequel notre système est encore utile à la vie sociale, c’est qu’il apprend à être exempt de haine et de mépris, à n’avoir pour personne ni moquerie, ni envie, ni colère. Il apprend aussi à chacun à se contenter de ce qu’il a et à venir au secours des autres, non par une vaine pitié de femme par préférence, par superstition, mais par l’ordre seul de la raison, et en gardant l’exacte mesure que le temps et la chose même prescrivent. 4° Voici enfin un dernier avantage de notre système, et qui se rapporte à la société politique ; nous faisons profession de croire que l’objet du gouvernement n’est pas de rendre les citoyens esclaves, mais de leur faire accomplir librement les actions qui sont les meilleures.
Je ne pousserai pas plus loin ce que j’avais dessein d’exposer dans ce scolie, et je termine ici ma seconde partie. Je crois y avoir expliqué avec assez d’étendue et, autant que la difficulté de la matière le comporte, avec assez de clarté, la nature de l’âme humaine et ses propriétés : je crois y avoir donnée des principes d’où l’on peut tirer un grand nombre de belles conséquences, utiles à la vie, nécessaires à la science, et c’est ce qui sera établi, du moins en partie, par la suite de ce traité.

FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE

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