Traité politique, V, §01

  • 16 février 2005


Dans le § 11 du chapitre II nous avons montré qu’un homme est son propre maître alors surtout qu’il vit le plus sous la conduite de la raison [1], et en conséquence (voir § 7 chapitre III) que cette Cité est la plus puissante et la plus maîtresse d’elle-même, qui est fondée et gouvernée selon la raison. Puis donc que la meilleure règle de vie pour se conserver soi-même autant qu’il se peut, est celle qui est instituée suivant les prescriptions de la raison, il en résulte que tout le meilleur que fait soit un homme, soit une Cité, est ce qu’il fait en tant qu’il est le plus complètement son propre maître. Ce n’est pas en effet tout ce que nous disons qu’on a le droit de faire, que nous affirmerons être le meilleur : autre chose est de cultiver un champ en vertu d’un droit, autre chose de cultiver ce champ le mieux possible, autre chose, dis-je, est de se défendre, de se conserver, de juger, en vertu de son droit, autre chose de se défendre, de se conserver et de juger le mieux possible. En conséquence autre chose est de commander en vertu de son droit et d’avoir la charge des affaires publiques, autre chose est de commander le mieux possible et de gouverner le mieux possible la chose publique. Ayant ainsi traité en général du droit de toute Cité, il est temps maintenant de traiter du régime le meilleur en un État quelconque.


Traduction Saisset :

Nous avons montré, au chapitre II, article 11, que l’homme s’appartient d’autant plus à lui-même qu’il est plus gouverné par la raison, et en conséquence (voyez chap. III, art. 7]) que l’état le plus puissant et qui s’appartient le plus à lui-même, c’est celui qui est fondé et dirigé par la raison. Or le meilleur système de conduite pour se conserver autant que possible étant celui qui se règle sur les commandements de la raison, il s’ensuit que tout ce que fait un homme ou un État en tant qu’il s’appartient le plus possible à lui-même, tout cela est parfaitement bon. Car ce n’est pas la même chose d’agir selon son droit et d‘agir parfaitement bien. Cultiver son champ selon son droit est une chose, et le cultiver parfaitement bien en est une autre. Et de même il y a de la différence entre se défendre, se conserver, porter un jugement conformément à son droit, et faire tout cela parfaitement bien. Donc le droit d’occuper le pouvoir et de prendre soin des affaires publiques ne doit pas être confondu avec le meilleur usage possible du pouvoir et le meilleur gouvernement. C’est pourquoi, ayant traité précédemment du droit de l’État en général, le moment est venu de traiter de la meilleure condition possible de chaque État en particulier.


In art. 11. cap. 2. ostendimus, hominem tum maxime sui iuris esse, quando maxime ratione ducitur, et consequenter (vid. art. 7. cap. 3.) civitatem illam maxime potentem maximeque sui iuris esse, quae ratione fundatur et dirigitur. Cum autem optima vivendi ratio ad sese, quantum fieri potest, conservandum ea sit, quae ex praescripto rationis instituitur ; sequitur ergo id omne optimum esse, quod homo vel civitas agit, quatenus maxime sui iuris est. Nam non id omne, quod iure fieri dicimus, optime fieri affirmamus. Aliud namque est agrum iure colere, aliud agrum optime colere ; aliud, inquam, est sese iure defendere, conservare, iudicium ferre etc., aliud sese optime defendere, conservare, atque optimum iudicium ferre ; et consequenter aliud est iure imperare et reipublicae curam habere, aliud optime imperare et rempublicam optime gubernare. Postquam itaque de iure cuiuscumque civitatis in genere egimus, tempus est, ut de optimo cuiuscumque imperii statu agamus.

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