EIV - Proposition 62 - scolie

  • 28 juin 2004

Si nous pouvions avoir une connaissance adéquate de la durée des choses, et déterminer par la Raison leurs temps d’existence, nous considérerions les choses futures et les présentes affectés du même sentiment et le bien que l’Âme concevrait comme futur, elle l’appéterait comme un bien présent ; par suite, elle négligerait nécessairement un bien présent moindre pour un bien futur plus grand, et elle appéterait fort peu une chose qui serait bonne dans le présent, mais cause d’un mal futur, comme nous le démontrerons bientôt. Mais nous ne pouvons avoir de la durée des choses (Prop. 31, p. II) qu’une connaissance extrêmement inadéquate, et nous déterminons (Scolie de la Prop. 44, p. II) le temps d’existence des choses par l’imagination seule qui n’est pas également affectée par l’image d’une chose présente et d’une future. De là vient que la connaissance vraie du bien et du mal que nous avons, n’est rien qu’abstraite ou générale et que le jugement porté par nous sur l’ordre des choses et la liaison des causes [1], pour nous permettre de déterminer ce qui dans le présent est bon ou mauvais pour nous, est fondé plutôt sur l’imagination que sur la réalité. Il n’y a donc pas à s’étonner que le Désir né de cette connaissance du bien et du mal relative au futur puisse être réduit assez facilement par le Désir des choses présentement agréables (voir à ce sujet la Prop. 16). [*]


Si nos de rerum duratione adæquatam cognitionem habere earumque existendi tempora ratione determinare possemus, eodem affectu res futuras ac præsentes contemplaremur et bonum quod mens ut futurum conciperet, perinde ac præsens appeteret et consequenter bonum præsens minus pro majore bono futuro necessario negligeret et quod in præsenti bonum esset sed causa futuri alicujus mali, minime appeteret, ut mox demonstrabimus. Sed nos de duratione rerum (per propositionem 31 partis II) non nisi admodum inadæquatam cognitionem habere possumus et rerum existendi tempora (per scholium propositionis 44 partis II) sola imaginatione determinamus quæ non æque afficitur imagine rei præsentis ac futuræ ; unde fit ut vera boni et mali cognitio quam habemus non nisi abstracta sive universalis sit et judicium quod de rerum ordine et causarum nexu facimus ut determinare possimus quid nobis in præsenti bonum aut malum sit, sit potius imaginarium quam reale atque adeo mirum non est si cupiditas quæ ex boni et mali cognitione quatenus hæc futurum prospicit, oritur, facilius rerum cupiditate quæ in præsentia suaves sunt, coerceri potest, de quo vide propositionem 16 hujus partis.


[1Le texte dit exactement : « l’ordre des choses et le nœud des causes », formulation qui se retrouve en EV6dem.

[*(Saisset :) Si nous pouvions avoir une connaissance adéquate de la durée des choses, et déterminer par la raison le temps de leur existence, nous regarderions du même oeil les choses futures et les choses présentes ; un bien à venir nous inspirerait le même désir qu’un bien présent, et on ne négligerait pas tant le bien présent pour de plus grands biens qu’on espère dans l’avenir ; enfin (et nous le démontrerons tout à l’heure), on ne désirerait pas un bien actuel quand on saurait qu’il doit causer plus tard un certain mal. Mais nous ne pouvons avoir de la durée des choses qu’une connaissance inadéquate (par la Propos. 31, part. 2), et notre imagination seule détermine le temps de leur existence (par le Scol. de la Propos. 44, part. 2). Or l’imagination n’est pas affectée de la même façon par une chose présente et par une chose à venir ; et de là vient que la vraie connaissance que nous avons du bien et du mal n’est qu’une connaissance abstraite ou générale, et que le jugement que nous portons sur l’ordre des choses et l’enchaînement des causes, afin de déterminer ce qui nous est présentement bon ou mauvais, est un jugement plus imaginaire que réel. Il ne faut donc point s’étonner que le désir qui naît de la connaissance du bien et du mal, en tant que relative à l’avenir, puisse être si facilement empêché par le désir des choses qui nous sont actuellement agréables. Sur ce point, voyez la Propos. 16.

Dans la même rubrique

EIV - Proposition 59

Démonstration : EIII - Définition 2 ; EIII - Proposition 3 (et EIII - Proposition 3 - scolie) ; EIII - Définitions des affects - 01 ; EIII - (...)

EIV - Proposition 59 - scolie

J’expliquerai plus clairement ma pensée par un exemple. L’action de frapper, en tant qu’on la considère physiquement, ayant égard seulement à ce (...)

EIV - Proposition 60

EIII - Proposition 6 ; EIII - Proposition 7 ; EIII - Proposition 12.
EIV - Proposition 6.
Un Désir, tirant son origine d’une Joie ou d’une (...)

EIV - Proposition 60 - scolie

EIV - Proposition 9 - corollaire ; EIV - Proposition 44 - scolie.
Puis donc que le plus souvent (Scolie de la Prop. 44) la Joie se rapporte (...)

EIV - Proposition 61

EIII - Définition 2 ; EIII - Proposition 3 ; EIII - Définitions des affects - 01.
Un Désir tirant son origine de la Raison ne peut avoir (...)

EIV - Proposition 62

EII - Définition 4 ; EII - Proposition 41 ; EII - Proposition 43 (et EII - Proposition 43 - scolie) ; EII - Proposition 44 - corollaire 2. (...)

EIV - Proposition 63

EIII - Proposition 3 ; EIII - Proposition 59 ; EIII - Définitions des affects - 13.
Qui est dirigé par la Crainte et fait ce qui est bon (...)

EIV - Proposition 63 - scolie

Les superstitieux qui savent flétrir les vices plutôt qu’enseigner les vertus, et qui, cherchant non à conduire les hommes par la Raison mais à (...)

EIV - Proposition 63 - corollaire

EIII - Proposition 59.
EIV - Proposition 8 ; EIV - Proposition 61.
Par un Désir tirant son origine de la Raison nous poursuivons le bien (...)

EIV - Proposition 63 - corollaire - scolie

Ce Corollaire s’explique par l’exemple du malade et du valide. Le malade absorbe ce qu’il a en aversion par peur de la mort ; le valide tire (...)

EIV - Proposition 64

EII - Proposition 29.
EIII - Définition 2 ; EIII - Proposition 3 ; EIII - Proposition 6 ; EIII - Proposition 7 ; EIII - Définitions des (...)

EIV - Proposition 64 - corollaire

Il suit de là que, si l’Âme humaine n’avait que des idées adéquates, elle ne formerait aucune notion de chose mauvaise.
Hinc sequitur quod si (...)

EIV - Proposition 65

EIV - Préface ; EIV - Proposition 63 - corollaire.
De deux biens nous rechercherons sous la conduite de la Raison le plus grand, et de deux (...)

EIV - Proposition 65 - corollaire

EIV - Proposition 63 - corollaire.
Nous rechercherons sous la conduite de la Raison un mal moindre pour un plus grand bien et renoncerons à (...)

EIV - Proposition 66

EIV - Proposition 62 ; EIV - Proposition 65.
Nous préférerons sous la conduite de la Raison un bien plus grand futur à un moindre présent, (...)

EIV - Proposition 66 - corollaire

EIV - Proposition 65 (et EIV - Proposition 65 - corollaire) ; EIV - Proposition 66.
Nous appéterons sous la conduite de la Raison un mal (...)

EIV - Proposition 66 - scolie

EIV - Proposition 1 à EIV - Proposition 18.
Rapprochant ce qui précède de ce que nous avons dit dans cette Partie jusqu’à la Proposition 18 (...)