EII - Proposition 40 - scolie 2

  • 26 avril 2004

Par tout ce qui a été dit ci-dessus il apparaît clairement que nous avons nombre de perceptions et formons des notions générales tirant leur origine : 1° des objets singuliers qui nous sont représentés par les sens d’une manière tronquée, confuse et sans ordre pour l’entendement (voir Coroll. de la Prop. 29) ; pour cette raison j’ai accoutumé d’appeler de telles perceptions connaissance par expérience vague ; 2° des signes, par exemple de ce que, entendant ou lisant certains mots, nous nous rappelons des choses et en formons des idées semblables à celles par lesquelles nous imaginons les choses (voir Scolie de la Prop. 18). J’appellerai par la suite l’un et l’autre modes de considérer connaissance du premier genre, opinion ou imagination ; 3° enfin, de ce que nous avons des notions communes et des idées adéquates des propriétés des choses (voir Coroll. de la Prop. 38, Prop. 39 avec son Coroll. et Prop. 40), j’appellerai ce mode Raison et Connaissance du deuxième genre. Outre ces deux genres de connaissance, il y en a encore un troisième, comme je le montrerai dans la suite, que nous appellerons Science intuitive. Et ce genre de connaissance procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses. J’expliquerai tout cela par l’exemple d’une chose unique. On donne, par exemple, trois nombres pour en obtenir un quatrième qui soit au troisième comme le second au premier. Des marchands n’hésiteront pas à multiplier le second par le troisième et à diviser le produit par le premier, parce qu’ils n’ont pas encore laissé tomber dans l’oubli ce qu’ils ont appris de leurs maîtres sans nulle démonstration, ou parce qu’ils ont expérimenté ce procédé souvent dans le cas de nombres très simples, ou par la force de la démonstration de la proposition 19, livre VII d’Euclide, c’est-à-dire par la propriété commune des nombres proportionnels. Mais pour les nombres les plus simples aucun de ces moyens n’est nécessaire. Étant donné, par exemple, les nombres 1, 2, 3, il n’est personne qui ne voie que le quatrième proportionnel est 6, et cela beaucoup plus clairement, parce que de la relation même, que nous voyons d’un regard qu’a le premier avec le second, nous concluons le quatrième. [*]


Ex omnibus supra dictis clare apparet nos multa percipere et notiones universales formare I° ex singularibus nobis per sensus mutilate, confuse et sine ordine ad intellectum repræsentatis (vide corollarium propositionis 29 hujus) et ideo tales perceptiones cognitionem ab experientia vaga vocare consuevi. II° ex signis exempli gratia ex eo quod auditis aut lectis quibusdam verbis rerum recordemur et earum quasdam ideas formemus similes iis per quas res imaginamur (vide scholium propositionis 18 hujus). Utrumque hunc res contemplandi modum cognitionem primi generis, opinionem vel imaginationem in posterum vocabo. III° denique ex eo quod notiones communes rerumque proprietatum ideas adæquatas habemus (vide corollarium propositionis 38 et propositionem 39 cum ejus corollario et propositionem 40 hujus) atque hunc rationem et secundi generis cognitionem vocabo. Præter hæc duo cognitionis genera datur, ut in sequentibus ostendam, aliud tertium quod scientiam intuitivam vocabimus. Atque hoc cognoscendi genus procedit ab adæquata idea essentiæ formalis quorundam Dei attributorum ad adæquatam cognitionem essentiæ rerum. Hæc omnia unius rei exemplo explicabo. Dantur exempli gratia tres numeri ad quartum obtinendum qui sit ad tertium ut secundus ad primum. Non dubitant mercatores secundum in tertium ducere et productum per primum dividere quia scilicet ea quæ a magistro absque ulla demonstratione audiverunt, nondum tradiderunt oblivioni vel quia id sæpe in numeris simplicissimis experti sunt vel ex vi demonstrationis propositionis 19 libri 7 Euclidis nempe ex communi proprietate proportionalium. At in numeris simplicissimis nihil horum opus est. Exempli gratia datis numeris 1, 2, 3, nemo non videt quartum numerum proportionalem esse 6 atque hoc multo clarius quia ex ipsa ratione quam primum ad secundum habere uno intuitu videmus, ipsum quartum concludimus.


[*(Saisset :) Il résulte clairement de tout ce qui précède que nous tirons un grand nombre de perceptions et toutes nos notions universelles : 1° des choses particulières que les sens représentent à l’intelligence d’une manière confuse, tronquée et sans aucun ordre (voir le Corollaire de la Propos. 29) ; et c’est pourquoi je nomme d’ordinaire les perceptions de cette espèce, connaissance fournie par l’expérience vague ; 2° des signes, comme, par exemple, des mots que nous aimons à entendre ou à lire, et qui nous rappellent certaines choses, dont nous formons alors des idées semblables à celles qui ont d’abord représenté ces choses à notre imagination (voir le Scol. de la Propos. 18) ; j’appellerai dorénavant ces deux manières d’apercevoir les choses, connaissance du premier genre, opinion ou imagination ; 3° enfin, des notions communes et des idées adéquates que nous avons des propriétés des choses (voir le Corollaire de la Propos. 38, la Propos. 39 et son Corollaire, et la Propos. 40). J’appellerai cette manière d’apercevoir les choses, raison ou connaissance du second genre. Outre ces deux genres de connaissances, on verra par ce qui suit qu’il en existe un troisième, que j’appellerai science intuitive. Celui-ci va de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses. J’expliquerai cela par un seul exemple. Trois nombres nous sont donnés, pour en obtenir un quatrième qui soit au troisième comme le second est au premier. Les marchands n’hésitent pas à multiplier le second par le troisième et à diviser le produit par le premier ; et cela par cette raison qu’ils n’ont pas encore oublié ce qui leur a été dit sans preuve par leur maître, ou bien parce qu’ils ont fait plusieurs épreuves de cette opération sur des nombres très simples, et enfin en vertu de la Démonstr. de la Propos. 19 du 7e livre d’Euclide, c’est-à-dire en vertu d’une propriété générale des proportions.- Mais tout cela est inutile si on opère sur des nombres très simples. Soit, par exemple, les trois nombres en question, 1, 2, 3 : il n’y a personne qui ne voie que le quatrième nombre de cette proportion est 6, et cette démonstration est d’une clarté supérieure à toute autre, parce que nous concluons le quatrième terme du rapport qu’une seule intuition nous a montré entre le premier et le second.

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