Textes brefs

Chercher la beauté réelle ou la réelle laideur est une vaine enquête

« La différence (...) est très vaste entre le jugement et le sentiment. Tout sentiment est juste, parce que le sentiment n’a référence à rien au-delà de lui-même et qu’il est partout réel où l’homme en est conscient. Mais toutes les déterminations de l’entendement ne sont pas justes, parce qu’elles portent référence à quelque chose au-delà d’elles-mêmes, c’est-à-dire, à la réalité, et qu’elles ne sont pas toujours conformes à cette norme. Parmi un millier d’opinions différentes que des hommes divers entretiennent sur le même sujet, il y en a une, et seulement une, qui est juste et vraie. Et la seule difficulté est de la déterminer et de la rendre certaine. Au contraire, un millier de sentiments différents, excités par le même objet, sont justes, parce qu’aucun sentiment ne représente ce qui est réellement dans l’objet. Il marque seulement une certaine conformité ou une relation entre l’objet et les organes ou facultés de l’esprit, et si cette conformité n’existait pas réellement, le sentiment n’aurait pu selon toute possibilité exister. La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit reçoit une beauté différente. Une personne peut même percevoir de la difformité là où une autre perçoit de la beauté. Et tout individu devrait être d’accord avec son propre sentiment, sans prétendre régler ceux des autres. Chercher la beauté réelle ou la réelle laideur est une vaine enquête, comme de prétendre reconnaître ce qui est réellement doux ou ce qui est réellement amer. »

David Hume, "De la norme du goût " , Essais esthétiques, GF, p. 126-127