La principale perfection de l’homme est d’avoir un libre arbitre, ce qui le rend libre de louange ou de blâme.
Mathématicien et physicien, Réné Descartes fut d’une certaine manière confronté à une « perfection » scientifique. En philosophe, il a été amené à réfléchir sur l’homme, sa « nature », et de ce fait à ce qu’il considère comme sa « principale perfection ». Ainsi, dans l’article 37 de la Première Partie des Principes de la Philosophie, il expose la thèse selon laquelle la perfection de l’homme est la possibilité d’être imparfait, d’avoir la liberté de choix quant à ses actions, ses jugements, ses opinions... De cette manière, il soulève le paradoxe du rapport entre la liberté et la morale. Par son libre arbitre, par sa volonté, l’homme construit un ensemble de normes auxquelles il soumet ses actions. L’apprentissage de la liberté peut-il se faire sans contraintes ? sans les limites que nous impose la morale ? Toutefois, dans un second temps, cette morale que Descartes aborde implicitement ne restreint-elle pas notre liberté ? En somme, en s’interrogeant sur l’homme, ou plutôt sur la vision qu’il en a, le philosophe mesure en quelque sorte la capacité qu’a la volonté de se déterminer sans contrainte. Une question se pose alors : où commence et où s’arrête la liberté humaine ?
Dans un premier temps, Descartes explique sa pensée : selon lui, le plus remarquable chez l’homme est cette chose étrange qu’est le « libre arbitre ». Cette idée de perfection montre que le philosophe choisit de montrer un aspect de l’homme, un idéal qui le différencie d’autre chose. Cet autre chose, c’est l’animal. En distinguant l’homme de l’animal, il établit une définition en mettant l’accent sur l’aspect qui lui semble le plus important. Le « libre arbitre » vient du latin « liberum arbitrium » qui se traduit comme « libre jugement ». Le libre arbitre est vu ici comme un don, comme quelque chose d’inné qui nous rend responsables de nos jugements, et donc de nos erreurs et de nos réussites. Ainsi, le philosophe évoque une idée de « sentence » d’autrui vis à vis d’une action d’un homme. La perfection de l’homme est donc d’être l’artisan du bien et du mal, de son propre salut. L’homme a la capacité de créer ses propres capacités. Il se détermine de façon rationnelle à agir et crée ainsi une indépendance.
Dans un second temps, Descartes projète son idée précédente en utilisant une image exposant la relation entre ouvrier et machine. Selon lui, les louanges ne doivent pas aller vers l’action finie que nous avons effectuée, mais plutôt sur la maîtrise de notre volonté qui nous a permit ce résultat. L’image de la relation entre créateur et la machine qui montre que les compliments vont plus légitimement à celui qui a donné l’impulsion d’une action plutôt qu’à celui qui l’a effectué nous permet de nous questionner : qu’est-ce qui dépend véritablement de nous et fonde ainsi nos vrais mérites ? Selon le philosophe, ce n’est ni la richesse, le la beauté, ni la chance, ni même l’intelligence mais le bon usage que nous faisons de notre volonté. Cette idée d’une impulsion raisonnée et raisonnable est donc à la base de notre construction. Comme la machine l’homme construit son fonctionnement, établit une morale personnelle pour limiter une volonté « très étendue ». La volonté maîtrisée par la morale est le libre arbitre en vertu duquel l’homme s’incline à une chose plutôt qu’à une autre.
Enfin, après avoir prouvé que cette liberté du vouloir est infinie et qu’il existe un lien entre la volonté et le corps, c’est-à-dire que l’homme se sent obligé de diriger son corps en dirigeant son esprit, Descartes introduit l’idée d’une détermination postérieure. Quel est le sens du « principe étranger » qui termine l’extrait ? Est-ce un don qui restreint notre liberté d’agir ? Pour Descartes, il est impératif de reconnaître que le vrai mérite réside dans le choix d’agir contre une volonté qui nous « contraint ». Il existerait donc une force qui semble d’abord immaîtrisable et dont la maîtrise accomplie mérite le respect. La liberté est donc une chose complexe qui nous est donnée, que nous devons conserver pour nous construire et que nous devons faire l’effort de ne pas renier. L’homme est prédestiné à choisir par lui-même la direction qu’il entreprend. Dans tout acte il y a une pensée qui commande, mais cette pensée est-elle vraiment celle de l’homme ? Contraint par cette force étrangère l’homme n’est que subalterne. On voit donc une sorte de sentiment hiérarchique qui ressort de la réflexion de Descartes sur l’homme. En effet, si la réalité est soumise au règne du déterminisme, comment l’idée même de liberté est-elle possible ?
Dans cet extrait, Descartes a cherché à convaincre son lecteur que la volonté est le propre d’un être agissant. Dès lors, nous sommes tenter de nous interroger sur la possibilité de nier le rôle de la conscience réfléchie, du libre arbitre, dans l’acte volontaire qu’évoque le philosophe. En effet, conditionné par une morale qu’il construit pour amender sa volonté l’homme prend le risque de se laisser enfermer par l’ensemble de ces normes et donc de se détourner en quelque sorte de la volonté. Si l’apprentissage de la liberté se fait par les limites de la morale, cette liberté peut-elle être réellement pensée ? L’idée d’un libre arbitre sous-tend une réflexion produite en amont de l’acte. Avant l’exécution, l’homme passe par plusieurs phases : la conception, la délibération, la décision. Mais en s’imposant un raisonnement avant l’accomplissement de sa pulsion, l’homme ne réfrène-t-il pas sa « passion », ne détruit-il pas la liberté qui a fait de lui ce qu’il est ?
Dans le texte il manque un élément que Descartes précise dans les Passions de l’âme (1649) : la relation entre la « principale perfection » de l’homme, le libre arbitre, et l’acte négatif, le mal. Dans une partie consacrée à la générosité, Descartes reconnaît qui si nous suivons le pire tandis que nous connaissons le meilleur « nous faisons alors un plus grand usage de cette puissance positive ». Ainsi peut-il y avoir dans la méchanceté comme une ivresse de la liberté. Le choix d’une action négative lorsque nous avons la possibilité de distinguer le bien du mal est en fait une affirmation de notre volonté d’agir, d’une indépendance face à la morale, ou à notre morale personnelle. Le libre arbitre de l’homme, la possibilité de choisir sans contrainte, d’être donc responsable de son élévation et de sa chute est source d’un plaisir paradoxal : celui de faire le bien alors que l’on est poussé par un force étrangère du mal, ou de faire le mal pour affirmer sa liberté. En même temps cette capacité de se déterminer peut être l’origine d’une double douleur : le non assouvissement de notre liberté du fait de la morale qui pèse sur nous, que nous nous imposons, mais aussi de l’abus de liberté par l’outre passement des valeurs qui nous construisent.
Par ailleurs, l’idée d’un libre arbitre aborde le fait d’une contingence du futur que Descartes sous-tend dans ce texte, mais n’explique pas. En effet, l’avenir n’est l’aboutissement d’aucune nécessité puisque l’homme est responsable de son présent. Par son caractère réfléchit, la volonté s’oppose au désir : l’homme n’est pas détourné de la réalité mais au contraire, par l’exercice de sa liberté de jugement, est confronté à ce qui existe. Pour que la volonté soit réellement libre l’homme ne doit, nous l’avons vu, ni se soumettre à ses inclinations personnelles, ni aux pressions subient par la réalité extérieure. Il apprend à connaître le monde qui l’entoure, les obstacles à sa liberté (qu’ils soient imposés ou qu’ils soient créés par lui-même). De cette manière il établit une hiérarchie entre lui, la volonté d’action, la liberté et la morale. Il prend à la fois conscience de lui, du monde et de l’avenir. Le libre arbitre n’est donc pas seulement la « principale perfection » de l’homme mais aussi une pièce essentielle de la « mécanique » humaine. Sans liberté de choix, l’homme est-il homme ?
Nous l’avons vu, la liberté entendue par Descartes est l’indépendance de l’homme (devenu arbitre) vis à vis de la contrainte exercée par les penchants de la sensibilité dans le but de la création de la morale. Cette liberté du vouloir est infinie et donc « me fait connaître que je porte l’image et la ressemblance de Dieu » (Descartes, Méditations Métaphysiques, 1647). Dans cet extrait, le philosophe s’est efforcé à démontrer que l’homme est artisan de son devenir, et que l’artifice qu’il créé est une morale qui restreint la liberté et qui est en même temps la condition de celle-ci. L’homme est donc un être double qui s’élève dans la construction harmonieuse des paradoxes. Il maîtrise la volonté et est maîtrisé par elle. En même temps il paraît difficile de penser la liberté supposant une cause spontanée, c’est-à-dire non déterminé par l’extérieur mais par l’antérieur. Dès lors, il est possible de penser que l’apprentissage de la liberté se fait par les limites qu’impose la morale et que la connaissance de la morale se fait par l’étendue de la liberté humaine. De sorte que l’on peut admettre l’idée que le libre arbitre résume la construction de l’homme, qui se fait par l’assimilation des rapports contradictoires (ici entre la liberté et la morale). La complexité de l’homme viendrait ainsi du fait d’un lien au monde réel fait d’oppositions. Si la liberté humaine n’a pas de limite ni d’harmonie, sommes nous réellement libre ?