Spinoza

Le rire est bon par soi

« Entre la Moquerie (que dans le 1er Coroll. j’ai dit être mauvaise) et le rire, je fais une grande différence. Car le rire , tout comme la plaisanterie, est Joie pure et simple ; et par suite, à condition d’être sans excès, il est bon par soi (par la prop. 41 de cette p.). Il n’y a certainement qu’une torve et triste superstition pour interdire qu’on prenne du plaisir. Car en quoi est-il plus convenable d’éteindre la faim et la soif que de chasser la mélancolie ? Voici ma règle, et à quoi je me sui résolu. Il n’y a ni dieu ni personne, à moins d’un envieux, pour pren-dre plaisir à mon impuissance et à ma peine, et pour nous tenir pour vertu les larmes, les sanglots, la crainte et les autres choses de ce genre, qui marquent une âme impuissante ; mais, au contraire, plus grande est la Joie qui nous af-fecte, plus grande la perfection à laquelle nous passons, c’est-à-dire, plus nous participons, nécessairement, de la nature divine. Et donc user des choses, et y prendre plaisir autant que faire se peut (non, bien sûr, jusqu’à la nausée, car ce n’est plus prendre plaisir), est d’un homme sage. Il est, dis-je d’un homme sage de se refaire et recréer en mangeant et buvant de bonnes choses modérément, ainsi qu’en usant des odeurs, de l’agrément des plantes vertes, de la parure, de la musique, des jeux qui exercent le corps, des théâtres, et des autres choses de ce genre dont chacun peut user sans aucun dommage pour autrui. Car le Corps humain se compose d’un très grand nombre de parties de nature différentes, qui ont continuellement besoin d’une alimentation nouvelle et variée pour que le Corps tout entier soit partout également apte à tout ce qui peut suivre de sa na-ture, et par conséquent pour que l’Esprit soit lui aussi partout également apte à comprendre plusieurs choses à la fois. Et donc cette règle de vie convient excel-lemment et avec nos principes, et avec la pratique commune ; cette règle de vie, si elle n’est pas la seule, est donc la meilleure de toutes, et doit être recomman-dée de toutes les manières, et il n’est pas besoin d’en traiter plus clairement ni plus longuement. »

Spinoza, Éthique, IV, 45, Scolie.